Le lavoir de Maisy
- Gervin THOMAS
- 14 mars 2021
- 5 min de lecture
ACCROCHE
Comme souvent, tout commence par une lecture. En l’occurrence, je lisais un témoignage de Marcel DESTORS (Maire-adjoint de Maisy en Juin 1944) qui raconte la nuit infernale du 5 au 6 Juin 1944 durant laquelle Maisy est touchée par un bombardement aérien. Un passage me frappe:
Je traverse des maisons éboulées, j'arrive au carrefour et j'apprends qu'il y a des victimes au lavoir. J'y cours. Le menuisier avec une bêche essaye de dégager une femme prise jusqu'à la taille, elle appelle ses petits (6) qui sont sous les décombres et dont quelques uns gémissent. [...] Je retourne au lavoir, on a dégagé la mère, le père et trois enfants, par contre les trois enfants sont morts. Par ailleurs, une famille entière, père, mère et quatre enfants sont morts. Tous sont mis dans des draps et transportés dans la salle de classe.
Tristes sires ... Les éléments sont minces. On comprends que plusieurs personnes se trouvaient "au lavoir", qu'il s'est effondré, ou a pris une bombe, et que la plupart sont morts. D'où plusieurs questions: qui étaient-ils ? Que faisaient-ils au lavoir ? Et surtout, où se trouve/trouvait ce lavoir ?
NOUVEAUX ÉLÉMENTS
En créant GRANDCAMP44, j'ai remis au jour mes photos et archives que je stockais depuis des années. Parmi elles, une série de photos de témoignages écrits placardés dans Grandcamp lors d'un anniversaire du Débarquement (60e ?).
J'ai cette fâcheuse tendance à toujours garder dans un coin de ma tête les éléments sur lesquels je travaille, comme une sorte de veille qui s'active quand un élément apporte de l'eau à mon moulin. Ce fût le cas ici. Dans ce nouveau témoignage de Marcel DESTORS, il raconte cette même anecdote mais y ajoute quelques détails:
Sous le lavoir, des gémissements ! Il y a toute la famille CLÉMENT: six personnes, la famille SÉHIE, sauf le père: sept personnes ; les pompiers de Grandcamp arrivent. A la lueur des lampes électriques, tout le monde travaille, mais, il y a presque trop de monde.
APPEL A TÉMOIGNAGE
Je profite de la nouvelle plateforme que nous offre la page Facebook de GRANDCAMP44 pour poser une question qui me trotte dans la tête depuis siiii longtemps: Avez-vous connaissance d'un lavoir à Maisy ? Si oui, savez-vous où il se trouve/trouvait ?
Je dois vous remercier de toujours répondre présent à nos sollicitations et de nous partager même la plus petite de vos informations. De fait, plusieurs réponses sont ressorties de cet appel ... et ça ne m'a pas forcément aidé sur le coup: "Dans le bourg", "près de l’Église", "derrière le cimetière", "sur la route d'Isigny", "sur la route de Grandcamp" ... Autant de pistes à étudier alors que j'imaginais qu'un tel endroit était connu.
Une réponse cependant parait plus assurée que les autres:
"Il était chemin des Ruettes, mon père l'a racheté à la Mairie et a construit son cabanon par dessus". (Merci Corinne ANQUETIL)
Après un petit tour sur Google Earth, puis sur IGN pour comparer les photos aériennes, effectivement, il y a quelque chose. Je valide donc l'hypothèse de la présence d'un lavoir au chemin des Ruettes.
2 choses me chiffonnent quand même:
Pourquoi aucun bâtiment autour ne semble détruit (à peine quelques tôles sur les cabanons au dessus) ?
La cible des bombardements étant la batterie des Perruques au SUD de Maisy (donc la zone de bombardement la plus intense), pourquoi toutes ces personnes sont-elles parties de leurs habitations en allant vers les bombardements en espérant se protéger ?? A moins qu'elles ne vivent plus au sud au niveau des Perruques.
Même si j'ai envie de croire que c'est bien là (plusieurs témoignages viennent corroborer le premier depuis), je n'arrive pas à me satisfaire de cette réponse.
Demande d'infos
Le temps a passé doucement, et j'avais un peu mis cette histoire de côté en espérant tomber sur un nouvel élément au fil de mes recherches. Et là, un message sur la boîte de GRANDCAMP44:


Donc, Mme JEANNE m'annonce qu'elle est descendante de la famille tuée au fameux lavoir (les CLÉMENT). Petit élément supplémentaire, il semble que cette famille vivait dans le bourg, et d'après la description, j'envisagerais le 1 rue du Houx, donc à l'opposé total du lavoir par rapport au bourg ! Cette info confirme mon doute quant à la route entreprise par la famille, et ça me parait de plus en plus absurde de faire autant de route alors que les bombes pleuvent ...
Bon, ça tombe bien, il fallait que je retourne aux Archives Départementales du Calvados pour vérifier quelques infos sur autre chose => coup de téléphone, il y a un créneau qui se libère exceptionnellement Lundi prochain (oui, 4 jours plus tard ... le destin je vous dit!). J'en profiterai pour fouiller à la recherche de ce fameux lavoir, avoir le cœur net, et répondre à cette chère dame en quête de son histoire familiale !
DÉTAIL

Petite mise à jour: Je viens d'acquérir des photos aériennes de la zone de Maisy par le biais des Archives Nationales Américaines.
L'une d'elle datée du 6 juin 1944 fait frémir au vu des dégâts. Ce n'est pas le sujet ici, mais un détail me chagrine. Regardez bien la photo: les cratères des bombes sont très visibles ... mais aucun sur ou même près du lavoir ...
Pourtant les témoignages sont formels: le lavoir a été frappé par une bombe. Mes questionnements 1 et 2 se confirment ...
Pas 1, ni 2, mais ... 3 lavoirs !!
Je ne vais pas vous faire le coup du suspens mal placé: oui la réponse était aux archives, donc oui, nous avons le fin mot de l'histoire. Je vous explique:

Première trouvaille, ce plan de 1883 qui montre effectivement un lavoir dont la forme et l'emplacement correspondent à celui qu'on aperçoit sur les photos aériennes de 1944 et 1947. Ce lavoir a été installé en 1887 et se présente sous forme d'un bassin à ciel ouvert, alimenté par un ruisseau (le même qui alimente le puits communal).
S'il a longtemps fonctionné, il ne semblait pas offrir un taux d'hygiène ou de praticité satisfaisant pour la population de Maisy. C'est pourquoi, au début des années 1930, la municipalité fait appel à un architecte afin de projeter la construction de lavoirs plus modernes.
le lavoir du Hameau DESCRUES

Situé au Hameau DESCRUE, il est peu probable que ce lavoir soit celui qui nous intéresse.
D'autant qu'il est visible sur plusieurs photos et bien que sévèrement endommagé, il n'est pas démoli à la suite des bombardements.

le lavoir du Bourg

Le lavoir du bourg, sera installé à l'entrée du bourg dans la route du Houx ... A quelques mètres à l'Ouest de chez les CLÉMENT.
En tenant compte de tous les éléments en notre possession, il est évident que c'est bien de celui-ci qu'il est question dans notre affaire. De plus, la prise de vue à droite nous confirme sa destruction.

Reste une question ... A quoi ressemblaient ces lavoirs ? Georges HALLIER va nous le montrer:

BILAN
Tous les éléments tendent à prouver que la famille CLÉMENT et quelques voisins se sont rendus dans le lavoir du bourg, rue du Houx afin de se protéger des bombes qui venaient de tomber sur le centre du bourg de Maisy. Il est alors naturel de vouloir quitter sa maison de peur qu'elle soit prise pour cible. Le lavoir étant couvert, cerné de murs, et un peu éloigné des maisons, ils ont du penser qu'il les protègerait des éclats de bombe.
Tragiquement, un bombardier manque la batterie des Perruques et largue ses bombes un tout petit peu trop au nord ... touchant le lavoir de plein fouet.
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